Sans voix ! C’est comme ça qu’on s’est retrouvés. La mienne, coupée, par sa faute, celle de sa beauté, éclatante, totale, au-delà des jolies choses des autres visages, et celle aussi de son petit chant d’enfant, son d’un oiseau d’ailleurs, au vibrato court, tremblotant de cachotteries. La sienne, soufflée, subtilisée, étouffée par une avalanche, que dis-je, une montagne en éboulements unanimes, un torrent neigeux, en pleine tempête, comme ce que la télévision, qui ne cesse de renaître des cendres qu’on (pas moi) croyait voir de ses restes, sait faire de mieux : un lynchage, arbitraire, motivé, immonde.
Mennel Ibtissem, qu’elle s’appelle. C’est souvent le secret d’un puissant personnage réel : un nom inédit, c’est-à-dire qui n’appartient à personne d’autre. Mennel, elle a 22 ans, et elle a bêtement participé au concours de chant télévisé The Voice en France. Elle avait préparé son coup, parce que mademoiselle est « consciente » – mais si mal –, elle avait tenté de laver son arabité, et pire, son islamisme, le plus possible. À la limite du blasphème à tous les carrefours ! D’ailleurs, elle n’a même pas eu besoin de passer les castings : les équipes de TF1, toujours à l’affût de leur quota de clichés, du noir pédé à l’obèse sympa, avaient trouvé en Mennel leur magnifique orientale bien nette, bien blanche, pensaient-elles… Mais quelle naïveté chez eux aussi ! Que pouvait-elle faire de plus que de porter son voile pour leur faire passer son message ? Ce voile, elle a tenté de le planquer un peu : plutôt que de le laisser retomber en beau hijab classique sur ses fines épaules, elle l’a relevé, à l’africaine. Elle avait dû voir Alicia Keys faire le coup sur le plateau de la version américaine de l’émission – avec succès d’ailleurs, ou plutôt sans problème. C’était oublier un peu rapidement qu’elle n’est ni aux États-Unis, ni chrétienne, ni noire… Mennel a des yeux bleus impensables, qu’on n’oserait même pas imaginer dans les plus racistes des représentations de la beauté exotique, spéciale et unique, en amoureuse parfaite d’un Aladdin éternel. Les plus belles des candidates blondasses et bien françaises font pâle figure, c’est le cas de le dire, à côté d’elle. Et puis Mennel – parce qu’être un diamant de beauté ne suffisait pas – a dû réfléchir à la chanson qu’elle allait entonner à son « audition » jouée d’avance. On a dû lui faire comprendre, puisqu’elle allait être l’Arabe de la bande, qu’il serait préférable qu’elle chante en Arabe, au moins quelques strophes… Eh oui, ceux qui crient au racisme de base de la France vont devoir réfléchir, il est plus vicieux que ça ! Alors, quoi ? Quand même pas une énième sérénade traditionnelle toute pleine de « vibes », comme on dit, arabisantes, en descentes de gamme bien typées – Faudel, c’est ringard… Hallelujah de Leonard Cohen, tiens ! Un tube de la pop moderne, qui est parvenue à se glisser dans les églises chrétiennes du monde alors que les paroles sont aussi érotiques que spirituelles, une simple mélodie écrite par un Juif soutien inconditionnel de la pire sionarderie militaire. Elle ne pouvait pas faire plus propre, si on peut dire ! Elle a juste changé le deuxième couplet pour le chanter dans sa langue étrangère… Erreur fatale !
Sur Twitter, dont l’influence ne cesse de se prouver semaine après semaine, quand bien même sa représentation sociale soit d’une ridicule importance sur la réalité d’une population, incarnation de la domination de la petite bulle sur l’océan, les commentaires des veaux étaient lâchés ! Le voile, ça peut passer sans arabité. L’arabité, c’est-à-dire l’accent et le couscous, ça peut passer sans le voile. Mais les deux, enroulés autour d’un tel canon en plus, c’est trop insupportable pour les Français qui ne tolèrent pas, en xénophobes qui s’ignorent, qu’une étrangère à leurs yeux puissent être si riche, si apparemment libre, si belle, quand bien même celle-ci est au fond la pire des demeurées aliénées… Alors, la chasse était lancée. On entendait ici et là, chez Hanouna notamment, que chanter en Arabe par « les temps qui courent », c’était un peu too much. Bel euphémisme qui veut tout dire : c’est être Arabe, et musulman, qui est un peu too much, en France, puisque la population a bien intégré, au premier signe de religiosité, chez ceux qu’ils trouvent un peu bronzés, que le terrorisme est juste derrière.
Mennel est devenue la cible d’enquêteurs du dimanche qui ont fouillé sa vie virtuelle. Cette traque dégueulasse n’aurait jamais même été lancée si Mennel avait été plus sage, plus blanche, plus noire, moins voilée. Ça, c’est ce que tout le monde, dans le camp de ceux qui défendent la petite, comprend et admet, et moi le premier. Ce pressentiment hystérique des Français face à une voilée s’est transformé en une bien déplaisante aventure pour la petite. Elle n’avait pas pensé à nettoyer aussi son image passée, celle qui est incrustée sur la toile. Ils ont trouvé, les salauds ! Étonnés de voir sur les différents profils de la jeune chanteuse des publications religieuses, des « likes » trop douteux pour eux, donnés par exemple à Baraka City (Mennel est Syrienne, après tout, et Baraka City est une ONG qui intervient sur place), des relais du pauvre Tariq Ramadan, et puis, malheureusement, triste petite Mennel ignorante, des traces de sa connerie arabe, des tâches complotistes et dieudonnesques générationnellement déprimantes. Mennel commente les attentats de Nice avec suspicion, elle reprend à son compte l’énorme et abjecte tarte à la crème complotiste des papiers d’identité. Petit dessert vide d’analyse que Soral et ses copains servent depuis des années à chaque attentat. La petite musulmane trouve ça bizarre, elle aussi. Elle sous-entend alors les pires sottises, trop conne, comme beaucoup, pour comprendre l’évidence, et trop lâche, surtout, pour l’admettre. Mennel en rajoute une couche en déclarant que les véritables terroristes, ce sont les bonshommes du gouvernement de France. C’est mieux, déjà ! Ce qui a été passionnant dans le déterrage de ces casseroles, c’est que les réactions, nombreuses, dans toutes les émissions de tous les médias, n’ont dans un premier temps relevé que certaines phrases pour descendre Mennel, et en ont laissé d’autres cachées. Ce qui a semblé impardonnable, c’est Ramadan, c’est Baraka City, c’est une vidéo pour la Palestine, c’est donc l’islam assumé, en un sens, et c’est bien sûr sa flèche politisée et antirépublicaine contre le gouvernement. Le complotisme, lui, a été longtemps totalement absent de la discussion, à peine esquissé parfois dans les titres des articles pour attirer, mais c’est tout. Pas si étonnant, finalement, puisque tout le monde, ou presque, doit être d’accord avec elle…
Ce qu’il faut comprendre avec le peuple de France, c’est que son racisme n’est jamais aussi primaire que ce que les bienpensants veulent faire penser. Quand on essaie de faire croire que c’est le simple voile de Mennel qui a entrainé sa chute, c’est non seulement trop facile mais surtout qu’à moitié vrai. Cette histoire me rappelle l’affaire Benzema. C’est simpliste de faire croire que Benzema a été mis de côté parce qu’il est un peu bronzé, parce qu’il est Arabe, simplement. La vérité fonctionne dans l’autre sens : il n’aurait pas été mis au pilori s’il n’avait pas été Arabe, lui non plus, mais son arabité, en elle-même, n’est pas le problème, ça ne l’est jamais. Benzema, on lui reproche ce qu’il représente, et ce qu’il assume : le renvoi de l’imaginaire à la banlieue, donc au lascar, comme on dit, celui qui pique les téléphones ; le ras-le-bol de cette génération de jeunes pour les complexes de la France sur la réussite et l’argent ; la fuite vers l’étranger d’un homme pas dupe qui ne chante pas l’hymne quand il joue pour son pays ; ses danses, souriant, avec Rihanna ; son rapport assumé à Allah, qu’il prie avant de jouer, etc. Anelka avait ouvert la voie ! C’est cette mixture qu’on ne pardonne pas, tout ensemble. Chaque ingrédient, isolé, ne suffit pas, et l’arabité d’un type, vidée de ces clichés, non plus : Zidane, qui n’a jamais chanté l’hymne, ne déplaisait à personne. Ribéry, musulman décomplexé, ne gênait personne non plus, avant de se transformer en petit caïd qui humiliait Gourcuff, symbole lui du petit Blanc de bonne famille humilié à en faire dans son froc. L’arabité, pour les fautifs médiatiques, c’est la goutte d’eau que vont utiliser leurs bourreaux pour les noyer. C’est le point de départ du racisme français, comme une petite lorgnette que les pires salopards de ce pays tirent et déroulent dès qu’ils le peuvent, mais ce n’est jamais le fond. On pardonnera toujours à un Olivier Giroud, chrétien beau gosse, de montrer sa bite et de tromper sa femme, et à Griezmann de se peinturlurer la gueule en noir, mais jamais à Karim Benzema d’être impliqué dans une futile histoire de sextape. Dans le cas de Mennel, c’est la même chose. Son voile sur la tête aurait été probablement même sa chance de carrément gagner l’émission si elle n’avait ou bien pas fait l’erreur de chanter en Arabe ou bien celle de ne pas avoir effacé ses tweets… Sans ces casseroles, elle aurait atteint la victoire…
Les médias s’appliquent pourtant à me donner tort : quand on allume la télévision et qu’on regarde par exemple l’ignoble émission de la sous-merde Pascal Praud, on peut en effet se demander ce qu’est cette hystérie effrayante autour du voile… J’y ai entendu des propos, de la bouche de types bien beaufs de la droite « normale » du Figaro, que je croyais réservés pourtant aux véritables racistes assumés de la pire campagne. Persuadés que le voile est par essence un signe hostile et méprisant pour ceux qui n’en portent pas, un signe de guerre, donc de terrorisme, et puis un symbole de soumission, d’obscurantisme, et qu’il est alors intolérable d’en voir dans une émission populaire, etc. C’est une erreur de se laisser avoir en pensant que le peuple est aussi extrême et radical. En tout cas, de façon ostensible, ce qui socialement est la seule façon qui compte. La tendance des Français sera toujours au contraire de tenter de faire d’abord pencher la balance du côté gauchiste et bienpensant. Que Mennel ait été cooptée par TF1 au départ en est la preuve. Le « vivre ensemble », la tolérance, la nourrice arabe, etc., ils adorent. Mais l’intelligentsia, elle, c’est vrai, devient folle, et dans son horreur, d’un rejet, d’un racisme, d’une haine absolus, offre pourtant des réponses magnifiques, et ouvre des portes immenses à tous les Arabes qui, comme Mennel, sont si ce n’est complexés, au moins paumés. Ce n’est qu’au fond d’eux que les relents de xénophobie se larvent chez les Français. L’Arabité ne dérange pas les Français pour ce qu’elle dit des Arabes mais pour ce qu’elle montre des Français. Ce n’est pas l’essence de l’Islam qui fait mal aux Français, c’est sa capacité à dévoiler celle des autres.
Et celle des Français, d’essence, et ils le savent, elle n’est pas jobarde, et c’est justement pour ça qu’ils réagissent avec une telle vigueur. Personne ne semble vouloir faire l’effort de creuser, et de décortiquer ce qui semble être, c’est vrai, cette omniprésence d’anti-héros arabes en France, et l’hostilité à leur égard. J’avoue avoir été surpris aussi par la virulence des internautes. Après quelques jours de polémique, sur les forums de jeuxvideo.com par exemple, ces jeunes pourtant d’habitude plutôt bienveillants avec la liberté d’expression, ne pardonnaient rien à Mennel. Mais alors cette crispation, cette détestation, en réalité, tout au fond du fond, ça vient d’où ?
C’est la honte. C’est toujours la honte qui agit. Rien ne fait plus réagir un homme que son désir de cacher ce dont il a honte. Et les Français ont sacrément honte. L’obsession laïque et l’athéisme comme religion presque étatique et, dans l’esprit des gens, symbole d’une sorte de « bon sens » de l’époque, sont les boucliers de mauvaise foi que tous soulèvent pour faire barrière et repousser tout ce qui pourrait dévoiler la fragilité de leurs petites armures d’hypocrites. Ils utilisent ces concepts comme de grandes paupières qui se ferment par-dessus leurs cœurs envieux. Les musulmans, quels qu’ils soient, ramènent les petits athées fragiles à leur vide et à la jalousie qu’ils ont de voir d’autres sourire avec une force qu’ils n’auront jamais. Alors, leur vide, ils en font une arme, ou au mieux une fierté, ils l’exposent. C’est toujours le même principe : crier ce qu’on veut taire en réalité. Même les plus petits et les plus ratés des hommes restent des hommes et ils ont un besoin naturel d’élévation, trop inconscient depuis des décennies, mais qui existe, et qui de plus en plus ressort en une grande fumée ambiante que tout le monde inhale. Dieu comme encens de l’époque. L’odeur fait peur, mais tous ont leur petit briquet de clopards cachés dans leur poche et ne rêvent que d’une chose : faire démarrer la flamme. Je suis persuadé qu’il y a, derrière l’accusation des athées – voire de certains chrétiens – d’obscurantisme en ce qui concerne les musulmans, une profonde incompréhension transformée en envie de voir une communauté, dont Mennel fait partie totalement, assumer une spiritualité, et une solidarité relative, et des codes, et une présence dans l’existence, comme une vision dont eux, les autres, se sentent dépourvus. C’est pour ça qu’ils considèrent le voile comme un message plus que comme un simple signe religieux, c’est pour ça qu’ils sont offensés : ils se sentent méprisés, en eux-mêmes, de n’avoir rien d’autre sur leur tête que leurs cheveux gras qui recouvrent un crâne qui sonne creux. C’est vrai que pour une jeune chanteuse, passer après Mennel, son calme, ses yeux bleus et son voile, pour venir chanter du Katy Perry, ce n’est pas évident, c’est indéniable. On sent les manques. C’est ce qu’on appelle un terriblement simple complexe d’infériorité, qui rejoint, en inverse, celui que beaucoup de Juifs ont transformé en complexe de supériorité. Les Français n’ont de cesse de chercher la distraction, le bruit, les idoles (Dostoïevski non plus ne croyait pas à la sincérité des « athées » qu’il considérait être des « idolâtres ») , les idées vagues de la pensée simple et tolérante, pour essayer de bourrer ça dans leurs coeurs comme une nouvelle religion, comme on bourre les oies, prouvant ainsi qu’ils ne désirent que ça : avoir une religion. Ils savent que la leur est lacunaire, ils se sentent comme des gros morceaux de gruyère qui cachent leurs trous de moisissure qui ne trompent personne, mais puisqu’ils sont tous entre eux, ils sont solidaires, c’est vrai. Ils font tout pour ne pas être seuls, parce que seuls les seuls souffrent de ce qu’est réellement la vie vidée de tout. Ils réagissent comme des honteux, à deux doigts d’être pris la main dans le sac, dans le sac au fond duquel ils cachent tous leurs secrets les plus sales. Ce qu’ils ne supportent pas, c’est qu’une fille comme Mennel n’a pas de sac à honte : elle se le fout directement sur la tête, pourraient-ils d’ailleurs dire… En ce sens, ils ne se trahissent pas, ils se permettent tous d’avancer sans dévoiler leurs tabous. Cette honte spirituelle ne peut, avec le temps, que se métamorphoser en un mode de vie, qu’on sait tous, lui aussi, mensonger, et sale.
C’est là aussi que les musulmans de France font fort : renvoyer les autres à leur quête incomplète ne semble pas suffire, ils les interrogent aussi sur leur mode de vie, donc leur philosophie, donc leur politique, leur vote, leur fausse inconscience, leur confort. Le problème entre les Français non-musulmans et les musulmans, plus encore s’ils sont Arabes, c’est la lâcheté. Rien n’est plus difficile pour un homme que l’autoanalyse, surtout quand celle-ci se doit d’être cruelle et dure. C’est avec cette capacité que se différencient bien souvent les immenses des grands artistes, d’ailleurs. Le choix de se mentir pour ne pas perdre la boule est toujours plus aisé que celui de se la décrocher pour l’envoyer valser comme au bowling et faire un strike qui mettrait à terre toutes les fautes. Les attentats de ces dernières années ont crispé, c’est le moins qu’on puisse dire, la population : il y a eu une sorte de liesse populaire, comme une entente générale, comme un blocus, pour taire la vérité ou plutôt voiler (tiens donc !) la réflexion possible ! Il fallait pleurer les conséquences, mettre les auteurs au pilori infernal (les Arabes, musulmans, donc), et ne jamais penser aux causes. Mes amis barbus sont dévisagés comme jamais quand ils prennent le bus, avec une haine et surtout une terreur qui n’existaient pas autant avant. Ça, je peux le pardonner. La stupide peur de crever, je l’admets. Ce qui est impardonnable, par contre, c’est qu’une fois de plus, cette haine peureuse n’existe que par lâcheté d’esprit, que par ce que ces bonshommes tellement craints et rejetés, renvoient de ce que tous ceux qui les pointent du doigt font, voire pire, ne font pas. Ils n’ont pas tort quand ils hurlent que l’islam est aussi politique ! Mais savent-ils quelle politique ? Les Français tiennent à leur confort, si on peut appeler ça un confort. C’est pour ça qu’ils élisent Macron et qu’ils détestent l’islam. Rien ne compte plus pour eux que leur situation et l’immobilité du monde moderne. Or, les musulmans, eux, ils bougent, ces derniers temps, et ils secouent cet arbre de tranquillité au tronc égoïste et pourri. Les Français ne veulent rien savoir quand l’islam, sur leurs propres terres, ne cesse de leur ouvrir les yeux, encore et encore. Ça doit bien se sentir au fond du cœur, la réalité des dynamiques. Dans leur sommeil, ou juste avant, cet instant où les petits points projetés par la rétine, et que Proust a révélé en littérature, explosent dans le noir, ils doivent bien s’en poser des questions, entre deux pensées absurdes d’un cauchemar qui arrive, ça doit bien traverser leurs esprits, alors qu’ils mordillent leurs draps… Qui est vraiment lâche et criminel ? Qui est résistant et rebelle ? Qui est dominant et qui est dominé ? Qui fait du mal à l’autre et qui en est punit ? Qui commence et qui se venge ? Ces broutilles philosophiques qu’on ne veut surtout pas penser, elles sont en chacun, vécues, ressenties, et elles figent. Et elles se prolongent jusque dans la vie la plus intime, la plus banale. Écouter la voix musulmane, ce serait se questionner sur les occupations les plus simples, les divertissements, les passions, les rapports de famille, d’amitié, de sexe, de justice, de flux entre les êtres. Et ça, le monde moderne, celui de l’Occident, ne peut pas se le permettre. Alors, comme une huitre qu’on bouscule du bout de la fourchette, il se rétracte, comme quelqu’un qui subirait une torture, il plisse les coins des yeux et il hurle. Il hurle en groupe, il hurle une haine, une surdité. Ils préfèrent sacrifier les autres pour sauver ce qu’ils pensent être le confort de leur petite vie. Ils ne veulent ni culpabiliser ni perdre leurs habitudes, trop précieuses. Ils mentent donc, ils se mentent en se forçant sans le savoir à aimer toutes les choses qu’ils aiment et qu’ils n’aiment en réalité pas du tout, car aucun homme ne peut les aimer. Et ils accusent les autres, avec une telle puissance, que les accusés sont immédiatement condamnés et tellement condamnés que toutes les places dans la grande prison métaphysique sont prises et qu’ils peuvent rester, eux les juges, alors, libres, dehors. Et cette liberté, même si toute relative, de la démocratie, qui est le seul concept qu’ils savent être légitime d’être mis en avant, ils en font leur étendard, leur étendard dégueulasse et mensonger parce qu’utilisé non avec le côté drapeau, qui symboliserait à tous la possibilité de bouger partout et de dire tout, mais avec le côté perche, tenue par une nation comme une lance pour planter tous ceux qui dépassent un peu des bords. Les Arabes sont automatiquement en dehors des clous, et puisque ça ne suffit jamais, les autres s’attaquent dorénavant entre eux pour se les planter, les clous, le plus souvent dans le cul. Les femmes contre les hommes, les femmes contre les femmes, etc. Ambiance ! Les Français ont honte d’eux-mêmes, ils se sentent comme morts et comme incomplets, et ils jalousent si fort la complétude, spirituelle et quotidienne, quand bien même ils la trouvent immonde et arriérée, des musulmans, parce que l’absolu de l’homme ne sera jamais ni le progrès (qui n’existe pas) ni la modernité mais bien la transcendance et la sérénité, celle de la sagesse.
Pourtant, les musulmans de France sont loin d’être tous les mêmes ! Beaucoup jouent avec le feu : c’est-à-dire avec l’apostasie… Leur mission, c’est normalement de satisfaire Dieu et ses attentes, c’est de chercher, de tout leur cœur, l’approbation divine impossible, son contentement. Chercher l’acceptation de quelqu’un d’autre, et bien souvent d’autres sortes de divinités, c’est amenuiser sa foi, et c’est salir la beauté du message si particulier de cette religion. Que Mennel veuille chanter, on en pense ce qu’on veut, et qu’elle participe à un concours à la télévision, également… Ensemble, ça a du sens, une logique. Ce qui a été sa grande faute, c’est d’avoir trop voulu, jusqu’au bout, plaire à la France – cette fausse et traître idole –, puisque c’est finalement ça. La belle Mennel a eu tout faux. Elle a voulu plaire, elle s’est fait belle, elle a accepté cette image, elle a chanté une chanson bien particulière, elle a désislamisé son apparence, son foulard. Elle a voulu tenter, elle aussi, de prouver qu’il était compatible d’être une mignonne musulmane et une républicaine française bien intégrée. C’est vain, Mennel… C’est ce que ne comprennent pas non plus les idiotes qui tiennent la barre de la communauté musulmane un peu moderne sur les réseaux : c’est passionnant de voir que ce sont toutes de bêtes tribales bouchées, aussi (voire plus) féministes que musulmanes, et qui ressemblent comme deux gouttes d’eaux aux pires déchets du militantisme LGBT. Une caste horrible qui se remplit de fausses valeurs pour oublier leurs fautes : de jeunes musulmans qui se gavent de philosophie sauce occidentale pour certains ; de séries américaines pour d’autres ; de politique ennuyeuse à mourir saveur PIR, etc. C’est ça l’islam de demain ? Ces petites connes peuvent passer sur toutes les incohérences pour véhiculer leurs petites marottes hérétiques et progressistes à la noix. Dans dix ans, leurs voiles qu’elles ne portent déjà pas seront tous tombés. Malgré tout ses compromis, Mennel a perdu. Elle en a rajouté dans l’erreur avec ses excuses. Ça a été pour moi la goutte d’eau qui a fait déborder mon vase de bienveillance. Renvoyée à sa pauvre condition après avoir voulu recevoir les récompenses de ceux qui sont pourtant ses ennemis, Mennel a pris la parole pour lire ce qui avait probablement été écrit par un avocat de petit niveau, pour demander pardon, faire croire qu’elle décidait de quitter l’émission (alors qu’elle a été virée) et surtout affirmer qu’elle aimait son pays, qu’elle aimait la France, etc. Un blabla que je n’ai pas supporté ! Est-ce qu’on peut imaginer la déflagration médiatique gigantesque que ce serait si un personnage dans la situation de Mennel assumait enfin jusqu’au bout et profitait de la plate-forme surpuissante pour affirmer quelques vérités ? Assumer ses propos sur le terrorisme réel de notre propre état, au nez et à la barbe de Florent Pagny ? C’est un tel gâchis… À la place, Mennel a voulu se sauver, mais de quoi, et de qui ? Pas de médaille : le fouet ! Mennel, Abdeslam, Ramadan et Jawad, même combat, qu’ils le désirent ou non.
Et puis, avec les jours qui passaient, j’ai attendu. Je voulais voir un peu la décantation. Petit à petit, et c’est assez réjouissant, le soufflet sur les absurdes accusations de penchants terroristes chez la petite Syrienne est retombé pour laisser place aux vrais relents intéressants : ceux du complotisme. Les médiateurs font sortir de leur bouche des cris qui étaient impossibles à même imaginer il y a encore quelques mois : ils se scandalisent du complotisme de Mennel, ils trouvent ça insupportable. Et c’est vrai que ça l’est. On est loin du but : c’est encore pour le reste qu’elle a été crucifiée, si on peut dire, mais une fois morte, et son cadavre refroidi, les bourreaux ont le temps de culpabiliser faussement, et de réfléchir, et alors toujours ne survivent que les véritables émanations. Moi, ça me fait toujours de la peine cet automatisme que j’avais sous-estimé chez ma génération d’accéder au complotisme et en particulier chez les jeunes musulmans, chez qui bien souvent ce n’est qu’une étape. Ils se paument entre leur obsession du « pas d’amalgame », leur réflexe complotiste, et puis à l’inverse dans la politisation, le jihad, etc. Tout leur devient flou. Pourtant, toutes les réponses sont là, pas loin. Le complotisme n’est pas encore un crime, ni même un délit, en tout cas pas de la même importance que d’être soupçonné de bienveillance jihadiste : espérons que ça s’inverse, et que ça arrive ! Timide début dont on peut peut-être se féliciter…
Mais ne t’inquiète pas, Mennel, et je m’adresse enfin à toi. Tu as été désastreuse stratégiquement, et maintenant les jeux sont faits, j’espère que tu l’as compris. Tu ne reviendras jamais en bonne grâce. Ça suffit tes prises de risques pour te mettre ta propre communauté à dos ! Ton destin est passionnant. Il me passionne. Tu es un symbole qui te dépasse et qui dépasse très largement tous ceux qui ont voulu te faire du mal. Ta beauté, ta foi, ton talent, ton attirance pour la musique moderne, ton passé complotiste, ton expérience traumatisante des médias occidentaux, tes sales soutiens, ta solitude, ton âge, tes origines, ta temporalité… Il y a un livre à faire. Mais rassure-toi, tu peux encore te sauver. Si enfin tu arrives à faire basculer la balance, si tu arrives à réparer ta boussole, n’est-ce pas ! Tu cherchais l’Est mais fonçais vers l’Ouest, depuis toujours, d’erreur en erreur, de mauvaises rencontres en mauvais conseils. Si tu parviens à te détacher de toutes les tâches qui font ta vie, si tu arrives à passer de la crème pure sur tous les points noirs métaphysiques incrustés au fond de ta jolie peau, si tu parviens à calibrer ta passion, ton islam, ta politique, alors tu as encore un futur, un Paradis à atteindre. Tu as raté beaucoup de choses, tu as eu tout faux, et plutôt que de sombrer et d’accepter une défaite terrible, il te faut absolument tenter de gagner enfin. J’ai vu sur ton visage, ces derniers jours, que tu avais beaucoup pleuré. Ça m’a fait de la peine. Il faut sécher ces larmes. On va le faire, je vais te présenter des amis qui vont t’aider un peu sur ton chemin spirituel, pour qu’il continue toujours ; d’autres qui vont t’ouvrir les yeux en jumelles d’amour sur la réalité de tout et sur l’erreur de la facilité de sa négation, parce que tu as cette corde politique précieuse et qu’il te faut l’agripper pour ce qu’elle est ; d’autres enfin qui vont t’épanouir sur ce qui semble te nourrir, c’est-à-dire l’art ; allez, va, je vais même sortir de ma retraite musicale pour te faire des chansons. Ça va être bien.
David Vesper