Le Grand Remplacement, enfin ! Leur grand fantasme se réalise finalement… J’étais pourtant sûr de moi, certain qu’ils pensaient tous à l’envers… J’avais tort.
C’est une véritable invasion simiesque que j’ai vu prendre d’assaut les rues de Paris. Des singes partout : tout le monde transformé, comme dans un cauchemar, des crieurs fluorescents dans les rues aux plus vicieux cravatés cachés dans les palais, les masques sont tombés : c’étaient des singes derrière. Certains portaient sur leur dos un drôle d’accoutrement : des « gilets » jaunes, comme ceux qu’on met pour éviter de se faire écraser, pour ne plus se faire rouler dessus, ceux qu’on porte pour être remarqué dans la nuit. Fragile armure…
J’ai longtemps hésité avant d’écrire ce que je voyais de ces manifestations, de ces frétillements : j’étais tiraillé. On me l’a demandé, j’en brûlais d’envie, mais j’étais réellement tiraillé, comme torturé. Quand on comprend ce que je fais, ce que j’aime et ce que doucement je peux paraître encourager, on pourrait trouver « gros » que je me plaigne encore, que je trouve à redire à ce qu’enfin un semblant de soulèvement saisisse des bouts de population… On dirait que je fais le malin, et je donnerais alors du grain à moudre aux débiles qui me fantasment en dandy poseur. Je ne voulais pas briser l’élan sur l’autel de ma lucidité. Je donnais une chance, grand prince qui se laisse être naïf. Mais je savais bien, au fond, quelle était la véritable couleur du sang qui pouvait gicler des membres des Gilets Jaunes blessés par les flashballs de la police ou frigorifiés sur les ronds-points aux quatre coins de la France, sous l’Arc de Triomphe comme sur la route entre Niort et Parthenay : le même sang, couleur pisse après l’ivresse, jaune raté, jaune triste, jaune terni comme la lueur de la vérité salie par l’hypocrisie. Le sang jaune rance qui ne tourne plus de l’homme qui s’oublie en s’inventant une condition… Alors, j’étais partagé entre me taire pour laisser une chance au mouvement, pour être témoin de sa fin, pour ne pas donner l’impression aux simplets que je retournais ma veste, et écrire sur le vif, en profitant du feu de la rue qui montait jusqu’à moi, et jouer le prophète. J’ai considéré que tous les « Je l’avais dit ! » de la terre ne pesaient pas bien lourd face à la réalité des ondes qui ont émané de cette drôle de colère, alors j’ai patienté. J’ai laissé tout se dérouler comme je le redoutais. J’ai laissé les Français tout gâcher, comme d’habitude.
Je n’ai pas été déçu puisque ce gâchis à venir crevait les yeux dès les premiers jours, dès les premiers bourgeons d’agitation. C’est bien la France, ça, et ses Français ! Pour le premier mouvement un peu enthousiasmant par sa médiatisation, sa violence relative, et la peur qu’il est parvenu à instaurer partout, ils réussissent à choisir les pires des causes, minuscules, et à les porter avec les plus petites bites possibles…
Les échos avec mon très récent texte « L’asile des peureux » paru dans Adieu 2 me faisaient mal aux oreilles. Ils dépassaient tout à fait mon entendement. Moi qui croyais, encore trop humaniste, que les peuples étaient incapables de se retrouver, de se soulever, de s’énerver, de faire la révolution, d’avoir un horizon, une utopie, une envie, une idée de civilisation, n’importe quoi, à cause de leur amour profond du système qu’ils critiquent, de leur petit confort, de leur petite modernité, de leur petite obsession inavouée du capitalisme, de l’argent, du bonheur immense qu’ils ont à se looker, à se chauffer, à s’amuser, à bouffer, à végéter, eh bien ils m’ont donné tort, mais à l’envers ! Ils m’ont donné tort en me donnant plus raison que je n’osais l’imaginer. C’est-à-dire que non seulement ils ont passé des décennies à se transformer en robots immobiles, habitués, connectés à en être débranchés, incapables de la moindre révolte – endormis par Internet, l’école, le mauvais sport, les transports, l’image, le journalisme, le cynisme, la disparition de l’espoir, l’argent, le confort –, mais ils en sont arrivés au point où, aujourd’hui, ce sont toutes ces exactes dégueulasseries qu’ils veulent encore plus, pour lesquelles ils désirent se battre avant tout. Je l’admets, je ne l’avais pas vu venir. J’en souffrais terriblement mais j’arrivais à intégrer que les hommes se soient éteints, qu’ils soient devenus comme des bêtes, sans âmes, sans passion, sans rien, anéantis dans un coton empoisonné qu’ils ont tant respiré qu’ils en sont tombés amoureux. Mais que les Français ne trouvent plus la force de se révolter, même qu’un peu, que dans la recherche égoïste d’un peu plus encore de ce poison, de doses encore plus forte de ce bonheur diabolique, ça me termine – comme on dit. Je savais qu’on pouvait être anesthésié par ce mode de vie, au fond injuste et immonde parce que déshumanisant, mais j’ignorais qu’on pouvait faire pire et s’insurger pour en demander encore plus. C’était ça, les cris des Gilets Jaunes : « Macron ! Encore plus de ce système ! Encore plus de toi ! Encore plus d’argent ! Encore plus de ce qu’on dit haïr ! »
Devant cette folie, devant ce cirque, devant cette tragédie, comme d’habitude les commentaires, les intellectuels, les manifestants, les responsables, tous aussi bestiaux, sombres et vides, je me retrouvais comme obligé… Il allait bien falloir dire les choses.
Ce qui m’a frappé, tôt, dans toute cette histoire, c’est l’impossibilité de la pensée, sa disparition complète, l’inexistence totale de la pensée personnelle, et donc du destin, de la motivation envisageable. Tous répètent ce que disent les autres. C’était comme si les Gilets Jaunes ne pouvaient pas exister sans ce qui se disait d’eux, sans le répéter : c’était la parole forcée, lointaine, vague, et fausse sur leur cause qui leur permettait de la faire survivre. Le sociologue pense – mal – donc je suis ! La gauche a sauté sur l’occasion ! Puisqu’elle n’existe plus, que le discours de gauche ne porte plus, que les idées sont oubliées, que plus personne n’est de gauche si ce n’est socialement, encore un peu, à peine, pour faire « genre », comme on dit, puisque le peuple est totalement et entièrement à l’extrême-droite, on fait croire, on invente, on calque. La gauche a mis dans les bouches maladroites des Gilets des revendications qui n’étaient pas forcément les leurs mais qui ont fini, par matraquage, par comblement de vide, par passer, par exister, et nous en sommes arrivés alors dans une situation qui invente un peuple de gauche qui est en réalité très à droite, exactement en inversant ce qu’on a connu quand j’étais petit, c’est-à-dire une France entière rangée derrière la gauche, au fond, en inventant une menace d’extrême-droite.
« La France périphérique », « La France des oubliés », etc., tant de trouvailles mal trouvées ont commencé à fleurir pour ne rien démontrer d’autre que la difficulté de nommer ces agitations innommables, parce qu’elles ne reposaient sur rien, parce qu’elles étaient proprement impensables. « La France périphérique », c’est ce guignol chauve de Guilluy qui en a fait une petite mode monstrueuse qui a été reprise à toutes les sauces touillées dans les pates de nos fameux pauvres gens… C’est encore une question de fantasme : la facilité ringarde de faire revivre le mythe d’un Paris élitiste, richissime, flamboyant et donc méprisant qui existerait très fort au détriment d’une province horrible, morte, pauvre, souffreteuse. Il s’agit de faire de la province le tiers-monde et de Paris Versailles, image dorée, Louis XIV, etc., et ça fonctionne parfaitement comme si personne n’avait remarqué ce qui dans le monde avait changé et que nous n’étions plus en 1954. Paris n’est plus grand chose, et Lille, Strasbourg, Nantes, Montpellier, Lyon, La Rochelle, Clermont, Rennes, Tours, Bordeaux, Limoges, Cannes et Aurillac n’ont plus rien à envier à sa modernité, à son confort, à sa facilité, au contraire… Le bon sens s’écroule donc au profit d’un discours vaseux : la France est un pays totalement régionalisé et on essaie de faire croire aux Gilets, pour les noyer dans un grand fourre-tout difforme, que leur cause est commune, que les souffrances sont les mêmes partout, et qu’on vit mal pareil ici et là… Quant à la fameuse « France des oubliés », c’est celle chère à Michéa et à tous ses suiveurs abrutis ! Michéa qui croit qu’il existe encore une sorte de bon sens populaire qui serait réservé, et inhérent, à son peuple de Gaulois, et qui le rendrait très hostile à toute forme de modernité inutile, à tout progressisme illogique… Pour lui, ce sont eux qui se soulèvent, ce sont eux qui sont oubliés… Il oublie un peu vite, le Michéa, qu’en ce qui concerne le bon sens et l’hermétisme au pire du progressisme, ils sont tous, absolument tous – si on écarte les incapables adolescents d’extrême-droite fans du Raptor Dissident qui se positionnent timidement et très mal, avec ironie, contre – prosternés devant le nouveau totalitarisme LGBT qui leur était pourtant, naturellement, impensable, et d’ailleurs invisible, impensé, inexistant, il n’y a pas quinze ans… Mais le pire, le plus indécent, le plus insupportable pour moi, c’est cette idée que les Gilets Jaunes seraient les « oubliés »…
C’est pour cette raison que j’ai repoussé l’échéance, que j’ai laissé faire, que j’ai attendu… C’était trop dur à dire, c’était trop suicidaire, solitaire… Je me doutais qu’on pourrait me lire vite et mal et plonger dans la démagogie la plus soporifique, facile, malhonnête, et me transformer en adversaire des travailleurs, en déconnecté de la réalité (comme si j’étais riche alors que je vis, et très bien, quasiment avec l’équivalent d’un RSA chaque mois), en bourgeois méprisant : je ne suis évidemment aucun des trois. L’unanimité totalitaire, encore, me semble autour des Gilets Jaunes plus forte qu’autour de Charlie : c’est dire. On fait croire, bien sûr, par petites nuances, moqueries, réprimandes, qu’il existe des discours qui pensent le mouvement, qui le critiquent, mais c’est un mirage : il n’y a pas une seule voix dissidente, nulle part, comme si c’était impossible ! Il y a pourtant une réalité qui est absolument dégueulasse et qu’il va falloir voir en face… Le mouvement des Gilets Jaunes se fonde, en vérité, sur un postulat simple qui, lui, est transversal : les manifestants considèrent être dans la pauvreté et chercher à s’en sortir. Il doit alors être question d’une pauvreté invisible, on l’a appelée comme ça, ici et là, leur pauvreté…
Les Gilets Jaunes ne sont pas du tout oubliés. Pire encore : les Gilets Jaunes ne sont pas pauvres ! Des pauvres et des oubliés, il en existe en France, et beaucoup : ils sont parqués au fin fond des cités en banlieues, et ils n’en sont surtout pas sortis pour se mêler au manège jaune, ils vivent dans des immeubles pourris, insalubres, entre deux matelas empilés, trois rats et un frigidaire vide, ils n’ont pas de travail ; je les ai vus sans avoir besoin de la télévision, en allant régulièrement à Saint-Denis pour voir mon ami Jawad Bendaoud, en me rendant à Aubervilliers souvent, en grandissant à Niort, près de la gare ; ils sont immigrés ; ils sont clochards. C’est elle, la France oubliée. Les Gilets se sont donc inventés une pauvreté, encouragés par tous. Les Gilets Jaunes ont expliqué qu’en France, à l’hiver 2018, être pauvre c’était avoir une maison, souvent gigantesque puisqu’ils habitent en province où les loyers sont ridicules par rapport à Paris et où beaucoup sont propriétaires, un emploi, une voiture, si ce n’est plusieurs, tous les objets de la modernité divertissante les plus pointus et chers, des télévisions hors de prix et dont l’écran fait quasiment la taille du terrain de foot diffusé dessus, des smartphones, des lits individuels, le chauffage, des placards remplis de gâteaux et de friandises, d’alcool et de cigarettes, et puis bien sûr, pour les plus jeunes surtout, des fringues, des fringues, des fringues. Il n’y a pas un reportage larmoyant sur les Gilets Jaunes au son de la musique de Coldplay – efficace dans la nostalgie (mais laquelle ?) – sans que soit avoué ce petit vice égoïste, ce manque de grandeur, cette révolte de pacotille, cet amour d’un monde qu’ils veulent toujours plus ! Impossible d’y couper, la plus grande revendication des Gilets Jaunes, celle qui revenait sans cesse, c’est la complainte de Noël, cette envie de pouvoir faire plus de cadeaux à leurs enfants, sous le sapin, pour leur « donner tout ce qu’ils veulent »… Les mères en gilets qui pleurent parce qu’elles ne peuvent pas remplacer le canapé défoncé par les morsures du chien qu’elles doivent cacher avec des coussins et des plaids, alors que, la voix chevrotante et la bave qui coule sur leurs mentons, elle demande à leurs mioches assis dans la cuisine, se bavant eux-aussi dessus à force de s’empiffrer de leur petit déjeuner copieux, s’ils veulent se finir avec des Prince ou des pains au lait…
Les Gilets Jaunes ont même fait appel à la mémoire des Sans-culottes pour essayer de comparer leurs colères… Sauf que là où les uns regrettent de ne pas pouvoir s’offrir le dernier iPhone qui, effectivement, coûte un SMIC, les autres réclamaient plus de pain pour ne pas mourir. C’est comme si dans l’esprit des Gilets Jaunes avait été intégré totalement, jusqu’à la moelle, que les objets de leurs caprices, de leur plaisir, leur étaient dus. Pour les Gilets Jaunes, le smartphone est aussi vital que le pain des Sans-culottes. Les Gilets Jaunes n’ont pas fait la révolution pour changer le monde, ils en sont bien incapables, ils ont fait la révolution pour le renforcer. C’est comme s’ils ignoraient qu’il y avait eu d’autres mondes un jour. Ils paraissent être dans l’impossibilité d’imaginer autre chose, un autre système, une autre politique, un autre mode de vie. C’est celui-ci qu’ils aiment et ils se battent juste pour en avoir un peu plus. Ils font la révolution pour le capitalisme ! Bravo ! Avoir le dernier smartphone et faire la révolution ne devrait pas être incompatible : ça l’est chez les Gilets Jaunes. Ce manque d’imagination est tragique et me fait souffrir, presque seul, tous les jours. La disparition de l’utopie, du moindre horizon, de la possibilité d’une certaine justice, politique peut-être, qui tenterait de réparer les injustices, l’extermination de la nostalgie, du sens collectif, tout se mélange. L’idée de révolte elle-même est morte et enterrée, comme devenue anachronique, historique. Seulement, j’ai bien senti, mais je le fais quand même, qu’il était intolérable, inenvisageable de dire du mal des Gilets, de dire que ce sont des gros cons, de dire qu’ils sont très heureux, très contents, très amoureux de ce monde-là, façonné pour eux, et que pour rien au monde, justement, ils ne voudraient le renverser. Ils ne désirent rien d’autre que plus de la même horreur : pour eux, tout au fond d’eux-mêmes, rien ne lui est supérieur. Ils ont même été incapables du moindre petit discours, même le plus cliché, même le plus idiot et enfantin, sur la répartition des richesses, sur la démocratie mourante, ou alors très légèrement, dans une démagogie ultime, dans un populisme absolu, par les voix des professionnels des médias, ces monstres. Ils ont été absents, humainement absents.
Dieu sait pourtant qu’il y en a des choses à reprocher à la France ! Mais les Gilets Jaunes ont décidé de ne rien voir et de choisir la pire des causes : leur petite gueule. Le slogan des Gilets Jaunes ? « Moi, moi, moi ! » Plutôt que de couper l’arbre pourri à la souche, ils se sont suspendus à la branche qui était peut-être la moins attaquée, la moins pourrie, la moins laide, la moins scandaleuse : celle du système social dont ils jouissent depuis des décennies et dont ils ne supporteraient pas d’être privés : les aides, l’école et la santé presque gratuites, les services, le confort, toute cette aisance matérielle et quotidienne qu’ils adorent et à laquelle ils sont soumis alors qu’ils n’y comprennent rien et qu’ils aimeraient encore plus fort s’ils savaient – mais ils ne savent rien – comment c’est ailleurs, autour d’ici… C’est petit bras, petite bite, hypocrite, nul, insupportable. Rien sur la culture, rien sur l’écologie, rien sur la censure, si peu sur la police, rien sur les migrants, rien sur la banlieue, rien sur la religion, rien sur la Justice, rien sur la démocratie, rien sur rien si ce n’est l’argent… Eux ne le pensent même pas, malheureusement, mais le discours de surface était pourtant véridique, et moi je leur confirme : ils ont bel et bien une vie de merde ! Ceux qui les méprisent bourgeoisement en imaginant qu’ils n’ont aucune raison d’être en colère se trompent : ils en ont à la pelle, ils les déterrent simplement très mal et transforment ce qui devrait être un ras-le-bol absolu, un renversement total, en caprice stérile… Ce mode de vie, ce Système, puisque c’est comme ça qu’on l’appelle, ne devrait rien avoir d’une finalité, puisqu’il est terriblement injuste, soporifique, étouffant, inhumain. Ils auraient raison de s’en plaindre ! Si c’était ça qu’ils disaient, que se lever pour aller bosser, et puis faire les courses, et les cadeaux, et la voiture, et le petit pavillon hideux, etc., ils n’en pouvaient plus, que c’était terminé, que pour tout l’or du monde ils ne continueraient pas, que l’humanité méritait mieux, qu’on pouvait créer un bonheur ailleurs, autrement, que ce monde était mort et qu’il fallait en inventer un nouveau, si ça avait été ça, j’aurais été là, de tout mon cœur, j’aurais mis le feu partout, mais ce n’était pas ça, eux ne voulaient pas cesser, ils n’ont eu marre de rien en soi, ils ont simplement dit en avoir ras-le-bol pour ce prix-là, pour cet argent, et ils ne pensaient ni à l’égalité véritable, ni à un bouleversement de l’ordre du double, ils ne réclamaient que quelques miettes pour picorer un peu. Ils ont fabriqué sans s’en apercevoir une fausse fatalité qu’ils acceptent avec joie. Ils n’ont aucune nostalgie du passé qu’ils ne supporteraient de toute façon pas une journée, même le plus beau, le plus humain, le plus doux, le plus récent, le plus rempli, le plus vivant, et ils n’ont donc pas non plus, puisque ça va ensemble, de perspective d’avenir, de vision d’un futur rêvé, envisagé, projeté, alors que les hommes ont pourtant toujours passé leur temps à le penser, le futur, à l’idéaliser, à le craindre, à le construire, à le fantasmer, mais les Gilets Jaunes n’imaginent pas qu’on puisse aller plus loin que ce monde parfait, alors ils se sont arrêtés là, tous ensemble, comme une race entière qui agit de concert. Ils m’ont fait penser à des robots mal codés pour la plupart, bancals, un peu énervés quand la batterie s’épuise, et mieux codés pour d’autres, les plus jeunes, plus frais, mais qui tous retournent obéir aux ordres quand on les branche et qu’on leur envoie un peu de jus dans le fion.
Et puis il y a eu politiquement comme une explosion, une névrose, une perte de sens, un éparpillement qui dépasse même la race robotisée. Par quel miracle schizophrénique sont-ils parvenus, ces gens, à élire Macron une année, en l’accueillant d’un amour total, ce qu’on oublie un peu facilement, quand il marchait solennellement avec Beethoven au Louvre et que tout le monde, quasiment toute la France, avait bon espoir, aimait bien le petit nouveau, le petit beau gosse sympathique à qui ils ont également donné toute l’Assemblée, ce qu’on oublie aussi, et puis en commentant ensuite ses premières semaines avec un enthousiasme déconcertant, quand il serrait la main de Trump, et puis celle de Poutine, pour vouloir finalement lui trancher la tête l’année suivante, d’un coup, d’un seul, en voulant nommer à sa place – comme l’a réclamé un porte-parole des Gilets – un général, puisque le fameux De Villiers a été cité comme une solution acceptable… Le mouvement, en réalité, n’avait rien de politique. Il n’a jamais su s’il voulait remplacer un bonhomme comme Macron par Marx, Trump, Le Pen, l’anarchie, un militaire ou Mélenchon… C’est ce qui a permis à tous les charognards de se jeter sur l’entreprise déjà crevée pour la récupérer, avec succès, en la remplissant, tant elle était vide, de toutes leurs saloperies.
Et puis vint le temps de la violence… La violence chérie ! Celle qui hante toutes mes réflexions, celle qui manque tant. Quelle apparition, encore ! Quelle non-apparition surtout ! Quel rôle ! Quelle entreprise de dévoilement toujours aussi efficace. Rien n’est plus efficace que la violence. Dès les premiers soubresauts violents du mouvement, ceux du 1er décembre, et je m’en souviens bien pour avoir pris du gaz lacrymo dans les yeux à l’Hôtel de ville alors que j’observais tranquillement, j’ai su, alors que tout le monde s’encanaillait, qu’on commençait à parler de « violences insurrectionnelles » et de coup d’État, que la fin était proche, que tout était déjà foutu… Une fois de plus, les porte-paroles, qu’ils soient professionnels en plateaux ou inconnus sur les ronds-points, ont tout détruit : le premier réflexe, immédiat, a été de bien détacher les Gilets Jaunes des violences, des violents, des fameux « casseurs », de bien affirmer toute la journée, toute la soirée, tout le temps, que le mouvement n’avait qu’un désir pacifiste, de dialogue, de démonstration de mécontentement « républicain », ils utilisaient ces termes, vidés de leur substance, jusqu’à les rendre à vomir pour toujours… Il n’y avait pas une prise de parole, ou si peu, pour assumer la colère, la reconnaître, expliquer qu’elle était justifiée, utile, belle, encourageante… Il fallait à tout prix la nier, la désavouer, et le maintenant mythique tag sur l’Arc de Triomphe a servi de symbole puisque tous les Gilets se sont rangés derrière la Nation pourrie en scandant qu’il s’agissait d’un acte de vandalisme inacceptable, comme si l’Histoire de ce si beau pays, à laquelle d’un coup ils s’intéressent, était saccagée… L’acte le plus glorieux de la soirée immédiatement nié et rejeté… Les robots s’emballaient, comme déréglés, et continuaient de me dégoûter à trouver le moyen de systématiquement dire le contraire de ce qu’il aurait été juste de dire…
S’il y avait bien un élément à sauver de toute cette mascarade, pourtant, c’était bien cette soirée du 1er décembre, cet embryon, largement exagéré d’ailleurs, de chaos, ce mirage de révolte. Sur le moment je déchantais déjà puisqu’il était prévu que je dîne à 20 h au restaurant « Le Vaudeville », place de la Bourse, là où la télévision montrait des casseurs par dizaines tenter d’entrer dans le bâtiment et de tout détruire… Quand j’y suis arrivé, un peu inquiet, il n’y avait pas un seul Gilet Jaune, pas un seul policier, rien… J’ai réalisé que si à 20 h 30, en plein Paris, à la Bourse, alors que c’était présenté comme l’un des épicentres des violences, il n’y avait rien, c’était bien que la révolution avait encore du chemin à faire… Je trouvais déjà curieux qu’on fasse comme si le pays était en danger, comme si on vivait un soulèvement populaire incroyable et incontrôlable, alors qu’il fallait attendre chaque samedi, et uniquement le samedi, comme une sortie entre copains, pour que quelque chose bouge : la révolution du samedi n’est pas tellement plus glorieuse que celle qu’on dirait être du dimanche…
J’ai été étonné aussi de la façon dont les journalistes et les politiques ont parlé des « casseurs », des destructions… Ils avaient quelque chose d’héroïque, dans leurs bouches, ils passaient pour des révolutionnaires, des rebelles, des insurgés… Pourquoi pas ! Mais alors pourquoi, je m’en souviens bien, notamment en 2005 quand la banlieue avait, elle, donné une vraie leçon au pays, et qu’elle avait brûlé des voitures par milliers, sans se contenter de retourner cinq ou six Porsche, ces violences avaient-elles étaient présentées non comme l’œuvre insurrectionnelle de Français justement en colère mais comme des actes honteux, bestiaux, d’animaux, de racailles ? La géométrie variable qui rend fou… En 2005, on se battait contre la bagnole ; en 2018 on se bat pour elle. En 2005 on utilisait l’essence pour foutre le feu aux voitures, en 2018 on veut les en remplir à ras bord pour les faire rouler plus que jamais.
Mais ce sont bien les jours suivants, ceux qui ont lentement amené le mouvement jusqu’à son enterrement, jusqu’au jour où tout s’est joué et où tout s’est perdu, le samedi 8, qui m’ont convaincu que je ne m’étais pas trompé dans mes lectures passées, que j’avais bien saisi, profondément, le rapport à la violence, ou plutôt le non-rapport, que les Français avaient, et continuent d’avoir avec elle, contre toute cohérence, tout bon sens, toute logique, toute humanité, tout instinct de survie… L’entreprise de démolition de la violence pendant une semaine, la culpabilité et la culpabilisation, le désir de paraître totalement innocent et pacifique, les renoncements de tous, tout a marché parfaitement puisque le 8, donc, n’a été qu’une copie faiblarde de l’acte précédent, puisque comme au théâtre les manifestants appelaient leurs rendez-vous des « Actes »… Calme relatif, policiers partout, le crescendo était déjà terminé, emportant avec lui toute la vie des Gilets Jaunes, tout espoir. Comment n’ont-ils pas su voir, pourtant, que c’était la seule réponse véritablement possible ? Comment peuvent-ils ne pas le savoir ? Comment peuvent-ils à ce point ignorer l’Histoire ? S’ils ont obtenu les miettes qu’ils voulaient lâchement dévorer, celles qui leur suffisaient, c’est uniquement grâce aux quelques centaines d’inconnus qui ont cassé des vitrines et des statues en haut des Champs-Élysées… Ils ont mis le pays à genoux, un temps, en étant moins nombreux qu’un village… Pendant quelques heures, au tout début du mois, il y avait comme un flottement, une possibilité, une inquiétude… Si le 8, ils avaient été deux fois plus, dix fois plus, cent fois plus… S’ils avaient assumé à la télévision, s’ils avaient dit qu’ils comprenaient dorénavant que c’était la voie, qu’ils n’en avaient rien à foutre de l’Arc de Triomphe et de l’Assemblée Nationale et que c’était justement ces symboles étatiques – qui ne représentent en réalité plus du tout ni Napoléon ni Louis XVI – qu’il fallait faire exploser, j’aurais applaudi, j’aurais accouru… Mais non… Patriotisme, pacifisme, lâcheté, etc. Ça allait avec le reste : aucun désir de renversement, de changement de gouvernance, de destruction d’un monde, aucune haine de l’élite, du pays, de ses saletés… Mélangé à la frousse de perdre non seulement un œil mais surtout un petit morceau de leur confort de merde, ils sont rentrés à la maison. J’avais dit partout autour de moi, fin novembre, qu’ils rentreraient tous chez eux pour 200 euros : je me trompais, il aura suffi de 100 euros. Merci les casseurs ! La leçon sera-t-elle retenue ?
Macron a pris la parole deux jours après le dernier acte, il a donné exactement ce qu’ils attendaient. De l’attention, de l’émotion, du théâtre, des mesurettes claires, rapides, des chiffres, des sousous, et puis au lit, fermez le ban ! Miracle du destin et de la chronologie : il n’aura pas fallu 24 h pour que le terrorisme islamiste revienne mettre les pendules à l’heure ! Fabuleux ! On se réveille ! Au boulot ! À Strasbourg en plus : fini de viser Paris, ça quadrille le pays à fond maintenant ! Les Gilets Jaunes sont verts ! Enlisés dans la jalousie et le complotisme immédiatement, sidérés, hagards, en pleine gueule de bois de leurs secousses ratées, ils se prennent en pleine face la réalité de la violence totale, de la conviction courageuse, politique, religieuse, portée jusqu’à la fin, réalisée par quelqu’un qui, lui, ne confond pas les fusils et les téléphones portables, vécue par quelqu’un qui sait que le port du gilet peut signifier tout à faire autre chose et qu’ils ne sont pas tous jaunes, ils sont renvoyés à leur lâcheté et à leurs grognements, aux lendemains, vraiment aux lendemains de leur défaite, ils reçoivent une leçon de révolte. C’est beau ! L’islam qui, malgré tout, c’est inévitable, enterre les Gilets Jaunes en France : c’était écrit ! Si un bout de peuple occidental avait un jour le dixième de cette force, tout changerait. Avec le temps, le mouvement évoluera, il fera semblant, il se dira plus social, plus institutionnel, mais l’arrière-goût restera, celui de la facticité. D’ici là, Les Gilets Jaunes, dans leur défaite totale, pensent sûrement avoir gagné : ils mettront un cadeau de plus dans leurs chaussons…
C’est une véritable invasion simiesque que j’ai vu prendre d’assaut les rues de Paris. Des singes partout : tout le monde transformé, comme dans un cauchemar, des crieurs fluorescents dans les rues aux plus vicieux cravatés cachés dans les palais, les masques sont tombés : c’étaient des singes derrière. Certains portaient sur leur dos un drôle d’accoutrement : des « gilets » jaunes, comme ceux qu’on met pour éviter de se faire écraser, pour ne plus se faire rouler dessus, ceux qu’on porte pour être remarqué dans la nuit. Fragile armure…
J’ai longtemps hésité avant d’écrire ce que je voyais de ces manifestations, de ces frétillements : j’étais tiraillé. On me l’a demandé, j’en brûlais d’envie, mais j’étais réellement tiraillé, comme torturé. Quand on comprend ce que je fais, ce que j’aime et ce que doucement je peux paraître encourager, on pourrait trouver « gros » que je me plaigne encore, que je trouve à redire à ce qu’enfin un semblant de soulèvement saisisse des bouts de population… On dirait que je fais le malin, et je donnerais alors du grain à moudre aux débiles qui me fantasment en dandy poseur. Je ne voulais pas briser l’élan sur l’autel de ma lucidité. Je donnais une chance, grand prince qui se laisse être naïf. Mais je savais bien, au fond, quelle était la véritable couleur du sang qui pouvait gicler des membres des Gilets Jaunes blessés par les flashballs de la police ou frigorifiés sur les ronds-points aux quatre coins de la France, sous l’Arc de Triomphe comme sur la route entre Niort et Parthenay : le même sang, couleur pisse après l’ivresse, jaune raté, jaune triste, jaune terni comme la lueur de la vérité salie par l’hypocrisie. Le sang jaune rance qui ne tourne plus de l’homme qui s’oublie en s’inventant une condition… Alors, j’étais partagé entre me taire pour laisser une chance au mouvement, pour être témoin de sa fin, pour ne pas donner l’impression aux simplets que je retournais ma veste, et écrire sur le vif, en profitant du feu de la rue qui montait jusqu’à moi, et jouer le prophète. J’ai considéré que tous les « Je l’avais dit ! » de la terre ne pesaient pas bien lourd face à la réalité des ondes qui ont émané de cette drôle de colère, alors j’ai patienté. J’ai laissé tout se dérouler comme je le redoutais. J’ai laissé les Français tout gâcher, comme d’habitude.
Je n’ai pas été déçu puisque ce gâchis à venir crevait les yeux dès les premiers jours, dès les premiers bourgeons d’agitation. C’est bien la France, ça, et ses Français ! Pour le premier mouvement un peu enthousiasmant par sa médiatisation, sa violence relative, et la peur qu’il est parvenu à instaurer partout, ils réussissent à choisir les pires des causes, minuscules, et à les porter avec les plus petites bites possibles…
Les échos avec mon très récent texte « L’asile des peureux » paru dans Adieu 2 me faisaient mal aux oreilles. Ils dépassaient tout à fait mon entendement. Moi qui croyais, encore trop humaniste, que les peuples étaient incapables de se retrouver, de se soulever, de s’énerver, de faire la révolution, d’avoir un horizon, une utopie, une envie, une idée de civilisation, n’importe quoi, à cause de leur amour profond du système qu’ils critiquent, de leur petit confort, de leur petite modernité, de leur petite obsession inavouée du capitalisme, de l’argent, du bonheur immense qu’ils ont à se looker, à se chauffer, à s’amuser, à bouffer, à végéter, eh bien ils m’ont donné tort, mais à l’envers ! Ils m’ont donné tort en me donnant plus raison que je n’osais l’imaginer. C’est-à-dire que non seulement ils ont passé des décennies à se transformer en robots immobiles, habitués, connectés à en être débranchés, incapables de la moindre révolte – endormis par Internet, l’école, le mauvais sport, les transports, l’image, le journalisme, le cynisme, la disparition de l’espoir, l’argent, le confort –, mais ils en sont arrivés au point où, aujourd’hui, ce sont toutes ces exactes dégueulasseries qu’ils veulent encore plus, pour lesquelles ils désirent se battre avant tout. Je l’admets, je ne l’avais pas vu venir. J’en souffrais terriblement mais j’arrivais à intégrer que les hommes se soient éteints, qu’ils soient devenus comme des bêtes, sans âmes, sans passion, sans rien, anéantis dans un coton empoisonné qu’ils ont tant respiré qu’ils en sont tombés amoureux. Mais que les Français ne trouvent plus la force de se révolter, même qu’un peu, que dans la recherche égoïste d’un peu plus encore de ce poison, de doses encore plus forte de ce bonheur diabolique, ça me termine – comme on dit. Je savais qu’on pouvait être anesthésié par ce mode de vie, au fond injuste et immonde parce que déshumanisant, mais j’ignorais qu’on pouvait faire pire et s’insurger pour en demander encore plus. C’était ça, les cris des Gilets Jaunes : « Macron ! Encore plus de ce système ! Encore plus de toi ! Encore plus d’argent ! Encore plus de ce qu’on dit haïr ! »
Devant cette folie, devant ce cirque, devant cette tragédie, comme d’habitude les commentaires, les intellectuels, les manifestants, les responsables, tous aussi bestiaux, sombres et vides, je me retrouvais comme obligé… Il allait bien falloir dire les choses.
Ce qui m’a frappé, tôt, dans toute cette histoire, c’est l’impossibilité de la pensée, sa disparition complète, l’inexistence totale de la pensée personnelle, et donc du destin, de la motivation envisageable. Tous répètent ce que disent les autres. C’était comme si les Gilets Jaunes ne pouvaient pas exister sans ce qui se disait d’eux, sans le répéter : c’était la parole forcée, lointaine, vague, et fausse sur leur cause qui leur permettait de la faire survivre. Le sociologue pense – mal – donc je suis ! La gauche a sauté sur l’occasion ! Puisqu’elle n’existe plus, que le discours de gauche ne porte plus, que les idées sont oubliées, que plus personne n’est de gauche si ce n’est socialement, encore un peu, à peine, pour faire « genre », comme on dit, puisque le peuple est totalement et entièrement à l’extrême-droite, on fait croire, on invente, on calque. La gauche a mis dans les bouches maladroites des Gilets des revendications qui n’étaient pas forcément les leurs mais qui ont fini, par matraquage, par comblement de vide, par passer, par exister, et nous en sommes arrivés alors dans une situation qui invente un peuple de gauche qui est en réalité très à droite, exactement en inversant ce qu’on a connu quand j’étais petit, c’est-à-dire une France entière rangée derrière la gauche, au fond, en inventant une menace d’extrême-droite.
« La France périphérique », « La France des oubliés », etc., tant de trouvailles mal trouvées ont commencé à fleurir pour ne rien démontrer d’autre que la difficulté de nommer ces agitations innommables, parce qu’elles ne reposaient sur rien, parce qu’elles étaient proprement impensables. « La France périphérique », c’est ce guignol chauve de Guilluy qui en a fait une petite mode monstrueuse qui a été reprise à toutes les sauces touillées dans les pates de nos fameux pauvres gens… C’est encore une question de fantasme : la facilité ringarde de faire revivre le mythe d’un Paris élitiste, richissime, flamboyant et donc méprisant qui existerait très fort au détriment d’une province horrible, morte, pauvre, souffreteuse. Il s’agit de faire de la province le tiers-monde et de Paris Versailles, image dorée, Louis XIV, etc., et ça fonctionne parfaitement comme si personne n’avait remarqué ce qui dans le monde avait changé et que nous n’étions plus en 1954. Paris n’est plus grand chose, et Lille, Strasbourg, Nantes, Montpellier, Lyon, La Rochelle, Clermont, Rennes, Tours, Bordeaux, Limoges, Cannes et Aurillac n’ont plus rien à envier à sa modernité, à son confort, à sa facilité, au contraire… Le bon sens s’écroule donc au profit d’un discours vaseux : la France est un pays totalement régionalisé et on essaie de faire croire aux Gilets, pour les noyer dans un grand fourre-tout difforme, que leur cause est commune, que les souffrances sont les mêmes partout, et qu’on vit mal pareil ici et là… Quant à la fameuse « France des oubliés », c’est celle chère à Michéa et à tous ses suiveurs abrutis ! Michéa qui croit qu’il existe encore une sorte de bon sens populaire qui serait réservé, et inhérent, à son peuple de Gaulois, et qui le rendrait très hostile à toute forme de modernité inutile, à tout progressisme illogique… Pour lui, ce sont eux qui se soulèvent, ce sont eux qui sont oubliés… Il oublie un peu vite, le Michéa, qu’en ce qui concerne le bon sens et l’hermétisme au pire du progressisme, ils sont tous, absolument tous – si on écarte les incapables adolescents d’extrême-droite fans du Raptor Dissident qui se positionnent timidement et très mal, avec ironie, contre – prosternés devant le nouveau totalitarisme LGBT qui leur était pourtant, naturellement, impensable, et d’ailleurs invisible, impensé, inexistant, il n’y a pas quinze ans… Mais le pire, le plus indécent, le plus insupportable pour moi, c’est cette idée que les Gilets Jaunes seraient les « oubliés »…
C’est pour cette raison que j’ai repoussé l’échéance, que j’ai laissé faire, que j’ai attendu… C’était trop dur à dire, c’était trop suicidaire, solitaire… Je me doutais qu’on pourrait me lire vite et mal et plonger dans la démagogie la plus soporifique, facile, malhonnête, et me transformer en adversaire des travailleurs, en déconnecté de la réalité (comme si j’étais riche alors que je vis, et très bien, quasiment avec l’équivalent d’un RSA chaque mois), en bourgeois méprisant : je ne suis évidemment aucun des trois. L’unanimité totalitaire, encore, me semble autour des Gilets Jaunes plus forte qu’autour de Charlie : c’est dire. On fait croire, bien sûr, par petites nuances, moqueries, réprimandes, qu’il existe des discours qui pensent le mouvement, qui le critiquent, mais c’est un mirage : il n’y a pas une seule voix dissidente, nulle part, comme si c’était impossible ! Il y a pourtant une réalité qui est absolument dégueulasse et qu’il va falloir voir en face… Le mouvement des Gilets Jaunes se fonde, en vérité, sur un postulat simple qui, lui, est transversal : les manifestants considèrent être dans la pauvreté et chercher à s’en sortir. Il doit alors être question d’une pauvreté invisible, on l’a appelée comme ça, ici et là, leur pauvreté…
Les Gilets Jaunes ne sont pas du tout oubliés. Pire encore : les Gilets Jaunes ne sont pas pauvres ! Des pauvres et des oubliés, il en existe en France, et beaucoup : ils sont parqués au fin fond des cités en banlieues, et ils n’en sont surtout pas sortis pour se mêler au manège jaune, ils vivent dans des immeubles pourris, insalubres, entre deux matelas empilés, trois rats et un frigidaire vide, ils n’ont pas de travail ; je les ai vus sans avoir besoin de la télévision, en allant régulièrement à Saint-Denis pour voir mon ami Jawad Bendaoud, en me rendant à Aubervilliers souvent, en grandissant à Niort, près de la gare ; ils sont immigrés ; ils sont clochards. C’est elle, la France oubliée. Les Gilets se sont donc inventés une pauvreté, encouragés par tous. Les Gilets Jaunes ont expliqué qu’en France, à l’hiver 2018, être pauvre c’était avoir une maison, souvent gigantesque puisqu’ils habitent en province où les loyers sont ridicules par rapport à Paris et où beaucoup sont propriétaires, un emploi, une voiture, si ce n’est plusieurs, tous les objets de la modernité divertissante les plus pointus et chers, des télévisions hors de prix et dont l’écran fait quasiment la taille du terrain de foot diffusé dessus, des smartphones, des lits individuels, le chauffage, des placards remplis de gâteaux et de friandises, d’alcool et de cigarettes, et puis bien sûr, pour les plus jeunes surtout, des fringues, des fringues, des fringues. Il n’y a pas un reportage larmoyant sur les Gilets Jaunes au son de la musique de Coldplay – efficace dans la nostalgie (mais laquelle ?) – sans que soit avoué ce petit vice égoïste, ce manque de grandeur, cette révolte de pacotille, cet amour d’un monde qu’ils veulent toujours plus ! Impossible d’y couper, la plus grande revendication des Gilets Jaunes, celle qui revenait sans cesse, c’est la complainte de Noël, cette envie de pouvoir faire plus de cadeaux à leurs enfants, sous le sapin, pour leur « donner tout ce qu’ils veulent »… Les mères en gilets qui pleurent parce qu’elles ne peuvent pas remplacer le canapé défoncé par les morsures du chien qu’elles doivent cacher avec des coussins et des plaids, alors que, la voix chevrotante et la bave qui coule sur leurs mentons, elle demande à leurs mioches assis dans la cuisine, se bavant eux-aussi dessus à force de s’empiffrer de leur petit déjeuner copieux, s’ils veulent se finir avec des Prince ou des pains au lait…
Les Gilets Jaunes ont même fait appel à la mémoire des Sans-culottes pour essayer de comparer leurs colères… Sauf que là où les uns regrettent de ne pas pouvoir s’offrir le dernier iPhone qui, effectivement, coûte un SMIC, les autres réclamaient plus de pain pour ne pas mourir. C’est comme si dans l’esprit des Gilets Jaunes avait été intégré totalement, jusqu’à la moelle, que les objets de leurs caprices, de leur plaisir, leur étaient dus. Pour les Gilets Jaunes, le smartphone est aussi vital que le pain des Sans-culottes. Les Gilets Jaunes n’ont pas fait la révolution pour changer le monde, ils en sont bien incapables, ils ont fait la révolution pour le renforcer. C’est comme s’ils ignoraient qu’il y avait eu d’autres mondes un jour. Ils paraissent être dans l’impossibilité d’imaginer autre chose, un autre système, une autre politique, un autre mode de vie. C’est celui-ci qu’ils aiment et ils se battent juste pour en avoir un peu plus. Ils font la révolution pour le capitalisme ! Bravo ! Avoir le dernier smartphone et faire la révolution ne devrait pas être incompatible : ça l’est chez les Gilets Jaunes. Ce manque d’imagination est tragique et me fait souffrir, presque seul, tous les jours. La disparition de l’utopie, du moindre horizon, de la possibilité d’une certaine justice, politique peut-être, qui tenterait de réparer les injustices, l’extermination de la nostalgie, du sens collectif, tout se mélange. L’idée de révolte elle-même est morte et enterrée, comme devenue anachronique, historique. Seulement, j’ai bien senti, mais je le fais quand même, qu’il était intolérable, inenvisageable de dire du mal des Gilets, de dire que ce sont des gros cons, de dire qu’ils sont très heureux, très contents, très amoureux de ce monde-là, façonné pour eux, et que pour rien au monde, justement, ils ne voudraient le renverser. Ils ne désirent rien d’autre que plus de la même horreur : pour eux, tout au fond d’eux-mêmes, rien ne lui est supérieur. Ils ont même été incapables du moindre petit discours, même le plus cliché, même le plus idiot et enfantin, sur la répartition des richesses, sur la démocratie mourante, ou alors très légèrement, dans une démagogie ultime, dans un populisme absolu, par les voix des professionnels des médias, ces monstres. Ils ont été absents, humainement absents.
Dieu sait pourtant qu’il y en a des choses à reprocher à la France ! Mais les Gilets Jaunes ont décidé de ne rien voir et de choisir la pire des causes : leur petite gueule. Le slogan des Gilets Jaunes ? « Moi, moi, moi ! » Plutôt que de couper l’arbre pourri à la souche, ils se sont suspendus à la branche qui était peut-être la moins attaquée, la moins pourrie, la moins laide, la moins scandaleuse : celle du système social dont ils jouissent depuis des décennies et dont ils ne supporteraient pas d’être privés : les aides, l’école et la santé presque gratuites, les services, le confort, toute cette aisance matérielle et quotidienne qu’ils adorent et à laquelle ils sont soumis alors qu’ils n’y comprennent rien et qu’ils aimeraient encore plus fort s’ils savaient – mais ils ne savent rien – comment c’est ailleurs, autour d’ici… C’est petit bras, petite bite, hypocrite, nul, insupportable. Rien sur la culture, rien sur l’écologie, rien sur la censure, si peu sur la police, rien sur les migrants, rien sur la banlieue, rien sur la religion, rien sur la Justice, rien sur la démocratie, rien sur rien si ce n’est l’argent… Eux ne le pensent même pas, malheureusement, mais le discours de surface était pourtant véridique, et moi je leur confirme : ils ont bel et bien une vie de merde ! Ceux qui les méprisent bourgeoisement en imaginant qu’ils n’ont aucune raison d’être en colère se trompent : ils en ont à la pelle, ils les déterrent simplement très mal et transforment ce qui devrait être un ras-le-bol absolu, un renversement total, en caprice stérile… Ce mode de vie, ce Système, puisque c’est comme ça qu’on l’appelle, ne devrait rien avoir d’une finalité, puisqu’il est terriblement injuste, soporifique, étouffant, inhumain. Ils auraient raison de s’en plaindre ! Si c’était ça qu’ils disaient, que se lever pour aller bosser, et puis faire les courses, et les cadeaux, et la voiture, et le petit pavillon hideux, etc., ils n’en pouvaient plus, que c’était terminé, que pour tout l’or du monde ils ne continueraient pas, que l’humanité méritait mieux, qu’on pouvait créer un bonheur ailleurs, autrement, que ce monde était mort et qu’il fallait en inventer un nouveau, si ça avait été ça, j’aurais été là, de tout mon cœur, j’aurais mis le feu partout, mais ce n’était pas ça, eux ne voulaient pas cesser, ils n’ont eu marre de rien en soi, ils ont simplement dit en avoir ras-le-bol pour ce prix-là, pour cet argent, et ils ne pensaient ni à l’égalité véritable, ni à un bouleversement de l’ordre du double, ils ne réclamaient que quelques miettes pour picorer un peu. Ils ont fabriqué sans s’en apercevoir une fausse fatalité qu’ils acceptent avec joie. Ils n’ont aucune nostalgie du passé qu’ils ne supporteraient de toute façon pas une journée, même le plus beau, le plus humain, le plus doux, le plus récent, le plus rempli, le plus vivant, et ils n’ont donc pas non plus, puisque ça va ensemble, de perspective d’avenir, de vision d’un futur rêvé, envisagé, projeté, alors que les hommes ont pourtant toujours passé leur temps à le penser, le futur, à l’idéaliser, à le craindre, à le construire, à le fantasmer, mais les Gilets Jaunes n’imaginent pas qu’on puisse aller plus loin que ce monde parfait, alors ils se sont arrêtés là, tous ensemble, comme une race entière qui agit de concert. Ils m’ont fait penser à des robots mal codés pour la plupart, bancals, un peu énervés quand la batterie s’épuise, et mieux codés pour d’autres, les plus jeunes, plus frais, mais qui tous retournent obéir aux ordres quand on les branche et qu’on leur envoie un peu de jus dans le fion.
Et puis il y a eu politiquement comme une explosion, une névrose, une perte de sens, un éparpillement qui dépasse même la race robotisée. Par quel miracle schizophrénique sont-ils parvenus, ces gens, à élire Macron une année, en l’accueillant d’un amour total, ce qu’on oublie un peu facilement, quand il marchait solennellement avec Beethoven au Louvre et que tout le monde, quasiment toute la France, avait bon espoir, aimait bien le petit nouveau, le petit beau gosse sympathique à qui ils ont également donné toute l’Assemblée, ce qu’on oublie aussi, et puis en commentant ensuite ses premières semaines avec un enthousiasme déconcertant, quand il serrait la main de Trump, et puis celle de Poutine, pour vouloir finalement lui trancher la tête l’année suivante, d’un coup, d’un seul, en voulant nommer à sa place – comme l’a réclamé un porte-parole des Gilets – un général, puisque le fameux De Villiers a été cité comme une solution acceptable… Le mouvement, en réalité, n’avait rien de politique. Il n’a jamais su s’il voulait remplacer un bonhomme comme Macron par Marx, Trump, Le Pen, l’anarchie, un militaire ou Mélenchon… C’est ce qui a permis à tous les charognards de se jeter sur l’entreprise déjà crevée pour la récupérer, avec succès, en la remplissant, tant elle était vide, de toutes leurs saloperies.
Et puis vint le temps de la violence… La violence chérie ! Celle qui hante toutes mes réflexions, celle qui manque tant. Quelle apparition, encore ! Quelle non-apparition surtout ! Quel rôle ! Quelle entreprise de dévoilement toujours aussi efficace. Rien n’est plus efficace que la violence. Dès les premiers soubresauts violents du mouvement, ceux du 1er décembre, et je m’en souviens bien pour avoir pris du gaz lacrymo dans les yeux à l’Hôtel de ville alors que j’observais tranquillement, j’ai su, alors que tout le monde s’encanaillait, qu’on commençait à parler de « violences insurrectionnelles » et de coup d’État, que la fin était proche, que tout était déjà foutu… Une fois de plus, les porte-paroles, qu’ils soient professionnels en plateaux ou inconnus sur les ronds-points, ont tout détruit : le premier réflexe, immédiat, a été de bien détacher les Gilets Jaunes des violences, des violents, des fameux « casseurs », de bien affirmer toute la journée, toute la soirée, tout le temps, que le mouvement n’avait qu’un désir pacifiste, de dialogue, de démonstration de mécontentement « républicain », ils utilisaient ces termes, vidés de leur substance, jusqu’à les rendre à vomir pour toujours… Il n’y avait pas une prise de parole, ou si peu, pour assumer la colère, la reconnaître, expliquer qu’elle était justifiée, utile, belle, encourageante… Il fallait à tout prix la nier, la désavouer, et le maintenant mythique tag sur l’Arc de Triomphe a servi de symbole puisque tous les Gilets se sont rangés derrière la Nation pourrie en scandant qu’il s’agissait d’un acte de vandalisme inacceptable, comme si l’Histoire de ce si beau pays, à laquelle d’un coup ils s’intéressent, était saccagée… L’acte le plus glorieux de la soirée immédiatement nié et rejeté… Les robots s’emballaient, comme déréglés, et continuaient de me dégoûter à trouver le moyen de systématiquement dire le contraire de ce qu’il aurait été juste de dire…
S’il y avait bien un élément à sauver de toute cette mascarade, pourtant, c’était bien cette soirée du 1er décembre, cet embryon, largement exagéré d’ailleurs, de chaos, ce mirage de révolte. Sur le moment je déchantais déjà puisqu’il était prévu que je dîne à 20 h au restaurant « Le Vaudeville », place de la Bourse, là où la télévision montrait des casseurs par dizaines tenter d’entrer dans le bâtiment et de tout détruire… Quand j’y suis arrivé, un peu inquiet, il n’y avait pas un seul Gilet Jaune, pas un seul policier, rien… J’ai réalisé que si à 20 h 30, en plein Paris, à la Bourse, alors que c’était présenté comme l’un des épicentres des violences, il n’y avait rien, c’était bien que la révolution avait encore du chemin à faire… Je trouvais déjà curieux qu’on fasse comme si le pays était en danger, comme si on vivait un soulèvement populaire incroyable et incontrôlable, alors qu’il fallait attendre chaque samedi, et uniquement le samedi, comme une sortie entre copains, pour que quelque chose bouge : la révolution du samedi n’est pas tellement plus glorieuse que celle qu’on dirait être du dimanche…
J’ai été étonné aussi de la façon dont les journalistes et les politiques ont parlé des « casseurs », des destructions… Ils avaient quelque chose d’héroïque, dans leurs bouches, ils passaient pour des révolutionnaires, des rebelles, des insurgés… Pourquoi pas ! Mais alors pourquoi, je m’en souviens bien, notamment en 2005 quand la banlieue avait, elle, donné une vraie leçon au pays, et qu’elle avait brûlé des voitures par milliers, sans se contenter de retourner cinq ou six Porsche, ces violences avaient-elles étaient présentées non comme l’œuvre insurrectionnelle de Français justement en colère mais comme des actes honteux, bestiaux, d’animaux, de racailles ? La géométrie variable qui rend fou… En 2005, on se battait contre la bagnole ; en 2018 on se bat pour elle. En 2005 on utilisait l’essence pour foutre le feu aux voitures, en 2018 on veut les en remplir à ras bord pour les faire rouler plus que jamais.
Mais ce sont bien les jours suivants, ceux qui ont lentement amené le mouvement jusqu’à son enterrement, jusqu’au jour où tout s’est joué et où tout s’est perdu, le samedi 8, qui m’ont convaincu que je ne m’étais pas trompé dans mes lectures passées, que j’avais bien saisi, profondément, le rapport à la violence, ou plutôt le non-rapport, que les Français avaient, et continuent d’avoir avec elle, contre toute cohérence, tout bon sens, toute logique, toute humanité, tout instinct de survie… L’entreprise de démolition de la violence pendant une semaine, la culpabilité et la culpabilisation, le désir de paraître totalement innocent et pacifique, les renoncements de tous, tout a marché parfaitement puisque le 8, donc, n’a été qu’une copie faiblarde de l’acte précédent, puisque comme au théâtre les manifestants appelaient leurs rendez-vous des « Actes »… Calme relatif, policiers partout, le crescendo était déjà terminé, emportant avec lui toute la vie des Gilets Jaunes, tout espoir. Comment n’ont-ils pas su voir, pourtant, que c’était la seule réponse véritablement possible ? Comment peuvent-ils ne pas le savoir ? Comment peuvent-ils à ce point ignorer l’Histoire ? S’ils ont obtenu les miettes qu’ils voulaient lâchement dévorer, celles qui leur suffisaient, c’est uniquement grâce aux quelques centaines d’inconnus qui ont cassé des vitrines et des statues en haut des Champs-Élysées… Ils ont mis le pays à genoux, un temps, en étant moins nombreux qu’un village… Pendant quelques heures, au tout début du mois, il y avait comme un flottement, une possibilité, une inquiétude… Si le 8, ils avaient été deux fois plus, dix fois plus, cent fois plus… S’ils avaient assumé à la télévision, s’ils avaient dit qu’ils comprenaient dorénavant que c’était la voie, qu’ils n’en avaient rien à foutre de l’Arc de Triomphe et de l’Assemblée Nationale et que c’était justement ces symboles étatiques – qui ne représentent en réalité plus du tout ni Napoléon ni Louis XVI – qu’il fallait faire exploser, j’aurais applaudi, j’aurais accouru… Mais non… Patriotisme, pacifisme, lâcheté, etc. Ça allait avec le reste : aucun désir de renversement, de changement de gouvernance, de destruction d’un monde, aucune haine de l’élite, du pays, de ses saletés… Mélangé à la frousse de perdre non seulement un œil mais surtout un petit morceau de leur confort de merde, ils sont rentrés à la maison. J’avais dit partout autour de moi, fin novembre, qu’ils rentreraient tous chez eux pour 200 euros : je me trompais, il aura suffi de 100 euros. Merci les casseurs ! La leçon sera-t-elle retenue ?
Macron a pris la parole deux jours après le dernier acte, il a donné exactement ce qu’ils attendaient. De l’attention, de l’émotion, du théâtre, des mesurettes claires, rapides, des chiffres, des sousous, et puis au lit, fermez le ban ! Miracle du destin et de la chronologie : il n’aura pas fallu 24 h pour que le terrorisme islamiste revienne mettre les pendules à l’heure ! Fabuleux ! On se réveille ! Au boulot ! À Strasbourg en plus : fini de viser Paris, ça quadrille le pays à fond maintenant ! Les Gilets Jaunes sont verts ! Enlisés dans la jalousie et le complotisme immédiatement, sidérés, hagards, en pleine gueule de bois de leurs secousses ratées, ils se prennent en pleine face la réalité de la violence totale, de la conviction courageuse, politique, religieuse, portée jusqu’à la fin, réalisée par quelqu’un qui, lui, ne confond pas les fusils et les téléphones portables, vécue par quelqu’un qui sait que le port du gilet peut signifier tout à faire autre chose et qu’ils ne sont pas tous jaunes, ils sont renvoyés à leur lâcheté et à leurs grognements, aux lendemains, vraiment aux lendemains de leur défaite, ils reçoivent une leçon de révolte. C’est beau ! L’islam qui, malgré tout, c’est inévitable, enterre les Gilets Jaunes en France : c’était écrit ! Si un bout de peuple occidental avait un jour le dixième de cette force, tout changerait. Avec le temps, le mouvement évoluera, il fera semblant, il se dira plus social, plus institutionnel, mais l’arrière-goût restera, celui de la facticité. D’ici là, Les Gilets Jaunes, dans leur défaite totale, pensent sûrement avoir gagné : ils mettront un cadeau de plus dans leurs chaussons…
David Vesper